• De la médiation culturelle dès le CP

     

    De la médiation culturelle dès le CP

    Bonsoir à tous,


    Depuis 2016, date à laquelle j'ai eu la chance d'assister à une conférence de Serge Boimare, j'intègre la médiation culturelle à mon enseignement, du CP au CM2.
    Qu'est-ce que la médiation culturelle ? Il s'agit, en résumant très grossièrement et sans en aborder l'essence (l'auteur le fait mieux que moi, voir plus bas), de commencer chaque journée de travail, d'apprentissage, par des textes fondateurs culturels communs, la plupart du temps mythologiques. L'adulte lit le texte en question à voix haute aux élèves, leur demande de le synthétiser oralement, puis d'en extraire une problématique de débat, de débattre selon des règles assez rigoureuses, d'illustrer la lecture du jour, et de rédiger un texte, commun ou individuel en rapport avec ce même texte.


    Quoi ? Avec des enfants dès le CP ?
    Quoi ? 1 heure par jour ? Mais les programmes, vous les faites quand ?

    Avant de développer, je vous propose de jeter un oeil et/ou une oreille au travail de Serge Boimare sur la question.
    Voici une longue, et fort éclairante, conférence: 





    Si vous rechignez à vous lancer dans une vidéo de plus de 2 heures, je vous invite à consulter les ouvrages ou entretiens de l'auteur, en tapant les mots-clés idoines dans le moteur de recherche de votre choix (mais vous ne gagnerez pas forcément beaucoup de temps).


    Depuis cette conférence, je tente moi-même de pratiquer le nourrisage culturel en classe, que mes élèves soient en difficulté ou non, à risque ou non, qu'ils aient 6 ou 10 ans.
    Monsieur Boimare a travaillé conjointement avec l'auteure Murielle Szac qui a su réécrire la majorité des grands mythes grecs sous forme de feuilletons de 100 épisodes, dans une langue à la fois accessible et exigeante, riche: Hermès, Ulysse, Thésée, Artémis, ...

    De son côté, Bruce Demaugé a créé des fiches et documents d'accompagnement pour exploiter ces feuilletons en classe (disponibles sur son blog). Je me sers de ces fiches à chaque fois que c'est possible, parce que c'est pas mal, quand même, de trouver du travail tout fait, et bien fait.

    Chaque épisode de mythologie par Murielle Szac décliné dure une dizaine de minutes lu à voix haute. Et je vous garantis qu'à la fin de l'année scolaire les élèves connaissent non seulement ces histoires, mais perçoivent leur imprégnation dans la mythologie moderne.

    "Mais en fait, maîtresse, Persée, c'est Percy Jackson ! Ah mais oui, en plus il a la tête de Méduse sur son bouclier!".

     

    De la médiation culturelle dès le CP


    Par ailleurs, chaque épisode donne lieu dans ma classe à la découverte et parfois l'étude approfondie d'une oeuvre dérivée: peinture, musique (opéra compris), film, série. Donc Goya et son Saturne dévorant ses enfants n'ont aucun secret pour eux dès 6 ans, même si nous sommes trop loin géographiquement des grands musées nationaux ou de la Scala de Milan. 

    Enfin, le fait de côtoyer quotidennement ces vieilles histoires nous permet de dresser de nombreux paralllèles avec des récits plus récents, , d'identifier les schémas narratifs en un coup d'oeil ou d'oreille.


    Malheureusement pour moi, mais pas pour son auteure ni pour les élèves bénéficiant de cette démarche, je me suis retrouvée dans des écoles où ce travail était déjà effectué à mon arrivée et même après moi et où les aventures d'Hermès n'avaient aucun secret pour les élèves. Si bien que j'ai dû composer. D'autant plus que les feuilletons de mythologie de Murielle Szac, 4 à ce jour, ne sont pas tous accessibles à des enfants jeunes. 

    Si la mythologie grecque fait incontestablement partie du patrimoine commun, il existe toutefois d'autres mythes patrimoniaux que l'on peut se risquer à exploiter. 
    Il y a quelques années, alors en CE1-CE2, et au terme des 100 épisodes du feuilleton d'Hermès, j'ai poursuivi la démarche avec les feuilletons arthuriens de Sophie Lamoureux. La langue était un peu plus complexe, les épisodes un peu plus longs, mais cela s'inscrivait très bien dans la continuité, avec ces niveaux. Et les parents étaient soulagés d'entendre parler d'autre chose que des dieux de l'Olympe. Et même si tous les élèves n'avaient pas la chance inouïe de voyager dans ma Bretonnie chérie, ils connaissaient tous Arthur Alexandre Astier et ses chevaliers de la Table Ronde, ce qui m'a considérablement facilité la tâche et m'a permis de donner dus ens aux enseignements d'histoire.




    L'an prochain, ma collègue de CE1 reviendra probablement à Hermès, si bien qu'avant même d'en être certaine, je choisis un autre corpus de textes, comme il y a deux ans, afin d'être certaine que chacune sera libre de choisir les ouvrages de son choix l'année suivante. Nous explorerons le petit peuple des contes dits "de fées". 
    Il y a 2 ans, j'ai acheté un énorme recueil des contes de Grimm, traduction pur jus. Puis j'ai consciencieusement découpé chaque conte en épisodes. J'ai refusé de choisir des réécritures de réécritures de réécritures. Autant vous dire que question langue, nous avons été servis: passé simple, subjonctif passé et imparfait, lexique rayé du dico depuis 5 rééditions. Et question horreurs, c'était pas mal non plus. Ce n'était plus Cronos dévorant un à un ses enfants ni Médée la dérangée, ni Zeus le coureur trompeur mais les contes de Grimm valent leur pesant de meurtres, infanticides, abandons, viols et autres jeunes filles vendues. Autant vous dire que question débats, là aussi, nous étions servis.
    N'empêche que quand on y met du coeur (et du travail, évidemment), les enfants de 6 ans comprennent très bien cette vieille langue et ce qu'elle raconte.

     

    De la médiation culturelle dès le CP De la médiation culturelle dès le CPDe la médiation culturelle dès le CP

    De la médiation culturelle dès le CP De la médiation culturelle dès le CP De la médiation culturelle dès le CP



    Mais t'avais dit que tu ferais une synthèse de ta façon de travailler, en particulier le lexique ?


    Ah oui, c'est vrai, j'y viens, je suis trop pipelette.
    Soit.
    Juste avant de vous montrer comment je travaille (et sans vous donner aucun travail tout fait sur le sujet vu que j'ai tué toutes mes données un soir avec une tasse de thé sur mon vieux PC déjà mal en point), quelques points.

     


    Comme ce travail dure 1/6ème du temps quotidien de travail, il me faut l'exploiter de façon structurée et efficace pour amener les élèves à construire les compétences exigées selon leur niveau, en particulier en étude de la langue, mais aussi, transversalement dans les domaines de la logique, de l'EMC, de l'argumentation. Si bien que je me sers de ce temps de travail pour travailler principalement la compréhension, l'expression, le lexique, la production d'écrit, et même la lecture (code) dès le CE1.

    En compréhension, c'est en m'appuyant sur la démarche de Lectorino Lectorinette que nous travaillons les textes. Toutefois, il convient de ne pas s'appuyer sur les seules ressoucres mythologiques, afin de varier les types d'écrit mais aussi de donner du sens à ce travail. En effet, aussi riche soit le projet, il ne doit pas enfermer ses participants, ni les lasser. Il vous faudra donc choisir d'autres textes de support, qui auront du sens pour vous, pour les élèves, et au regard des instructions officielles, de votre progression en QLM par exemple. Je ne saurais vous en fournir une liste. D'une manière générale, je choisis et tape moi-même les extraits ou paraphrases/résumés qui nous servent de support (parfois les productions des élèves). Je vous avais prévenus: il faut se dégager du temps chaque semaine pour construire les documents de travail, tous domaines compris.


    En lecture-code, en début de cycle 2: je lis à l'avance les textes au regard de ma progression dans le code. Puis j'ajoute quelques mots aux fiches de lecture, rencontrés dans les épisodes (j'ai eu l'habitude d'ajouter des mots et 2 ou 3 phrases en complément des fiches de J'entends je vois j'écris, qui se décline plutôt aujourd'hui, graphémiquement, en je vois j'entends j'écris). Il peut s'agir de lecture du soir comme de lecture en classe.
    Par exemple: si en CE1 nous travaillons sur la lettre E, ses graphies, ses accents, les sons qu'elle produit, alors j'ajoute quelques mots à la séance tels que Hermès, Hélène, Ménélas, frère,...sans compter les verbes, adjectifs, noms communs. Et je ne manque pas d'habituer les élèves à "s'écrier" (après avoir été interrogés la main levée bien entendu):
    "Mais oui! Tu te rappelles, Maîtresse ? Ménélas, fils d'Atrée, mari d'Hélène de Troie, celle enlevée par Pâris, la pauvre, et frère d'Agamemnon. Oh ça tombe bien, maîtresse, en plus, il y a aussi le mot frère! [un autre] Et enlevée aussi ! ".

    exemple CE1 période 3, approche phonémique car les guides oranges et autres n'étaient aps encore sortis, fiche de lecture du soir (pas tous les soirs, 1 à 2 fois par semaine maximum, pour varier les supports et éviter le gavage mythologique). Le virelangue, c'était un bonus pour les rapides cette année-là, en lien avec ma programmation poésie/chant/expression orale.

     

     



    Le lexique: je le travaille de la manière qui suit, lors de ces séances, en y consacrant au moins 5 à 10 minutes par séance, mais c'est en vérité un travail mené dans tous les domaines, toute la journée, de la même manière. Evidemment, dans le domaine "Questionner le monde", on ne s'arrête pas forcément un quart d'heure sur l'étymologie d'un mot alors qu'on a les mains dans un objet technique, mais  si on ne peut pas le traiter dans l'immédiat, les élèves me demandent de le noter, puis on y passe quelques minutes à la fin de la séance. C'est une sorte de gymnastique, de rituel, si vous préférez.
    Avant chaque épisode (et plutôt 15 jours à l'avance, en moyenne, afin de ne pas être prise au dépourvu), je scrute tous les mots qui seront lus et qui pourraient poser des difficultés de compréhension, en fonction aussi de leur contexte de lecture (un adjectif compliqué au milieu d'une longue liste explicite entre parenthèses ne présentera pas le même besoin de compréhension qu'un verbe d'action au coeur de l'intrigue, seul et sans description alentours). Je regarde de quelle manière il serait le plus intéressant de les aborder, je me prépare à les  lire à voix haute de manière à ce que mon ton les rende au moins un peu compréhensibles ( je mime un peu parfois, oui, ma vocation d'actrice ratée). J'effectue quelques recherches étymologiques si nécessaire, je ne suis pas un dico à moi toute seule. D'autre part, je connais vraiment bien les notions à construire chez les élèves dans le domaine du lexique au cycle 2. Les élèves savent qu'ils peuvent mettre de côté un mot dans leur tête pour en demander la signification à la fin de la lecture. Si je repèreen amont un mot dont la compréhension est la fois indispensable pour la compréhension de l'épisode et très compliqué à comprendre, alors nous faisons un petit point avant la lecture:
    "Attention, pendant l'épisode d'aujourd'hui, nous allons rencontrer le mot XXX, est-ce que quelqu'un connaît ce mot ? Si oui: explication, exemples, etc."
    Si non, on fait une recherche soit étymologique, en s'appuyant sur le radical, les préfixes et suffixes,  etc, soit à l'aide du dictionnaire (ordre alphabétique). Et très souvent, on travaille à la manière de Françoise Picot: on collecte en classant: paronymes, antonymes, synonymes, mots de la même famille, mots génériques, ... Quand une liste semble bien fournie et assez riche, alors je programme une ou deux séances de structuration, d'exercices d'investissement. Et...ce qu'on apprend n'ayant jamais autant de sens que lorsqu'on s'en sert, j'en viens à la dernière partie: la production d'écrit. 

    Nota: je n'estime jamais les élèves trop jeunes pour leur raconter l'histoire d'un mot. Quitte à raconter des histoires d'un autre temps, autant les embarquer complètement. Et ils sont aussi friands de mots savants que de connaissances, quel que soit le"classement" de l'école, en REP, REP+, milieu rural compliqué. Les "mamies" du français sont le latin et le grec et les petits enfants aiment connaître ces mamies et se rappellent très bien ce qu'elles ont à leur raconter.


    Quel que soit le niveau des élèves, leur aisance à l'écrit, une séance de production écrite est systématiquement l'aboutissement de la séance de médiation culturelle quotidienne. Je ne dis pas que cette partie de la séance couvre tous les aspects de la production d'écrit au cycle 2, mais une bonne part, oui.
    En début de CP, il s'agit d'une production d'écrit collective. Ils me dictent une phrase (qu'est-ce qu'une phrase ?) , je l'écris sous leur contrôle en même temps que je la projette au VPI, on met la majuscule et la ponctuation, on se demande si on connaît la lettre qui fait le son que l'on doit écrire, puis si tout le monde est d'accord pour dire que la phrase en est une, et qu'elle illustre l'épisode lu (sans forcément le résumer), alors on imprime, on colle dans le cahier du jour, on fait un dessin d'illustration qui complète. Si un élève veut ajouter un détail ou une réflexion personnelle, il me la dicte et je l'écris, ou alors il essaie de l'écrire sur l'ardoise, on vérifie ensemble puis il recopie...bien des formules sont possibles tant les capacités des élèves sont disparates.
    Plus tard dans l'année en CP, certains élèves essaient de produire eux-mêmes une phrase-résumé, quand certains dictent encore à l'adulte (qui leur fait identifier les sons qu'ils savent écrire).

    De la médiation culturelle dès le CP


    En 2ème période de CE1, presque tout le monde est capable de produire individuellement une phrase simple au sujet de l'épisode, mais certains sont encore rassurés par une des phrases communes proposées par leurs pairs et consignées au tableau par l'enseignant.e. tandis que d'autres copient toutes les phrases proposées ou que d'autres produisent 2 ou 3 phrases de leur cru, d'abord au brouillon.
    En fin de CE1, on arrive à des petits textes, individuels ou semi-collectifs. Au tableau, on note les phrases qui résument pendant la phase de résumé, et on note aussi ce qui illustre notre débat: arguments, contre-arguments, précisions, conclusions, qu'elles fassent consensus ou non.
    En périodes 4 et 5 de CE2, on peut arriver à proposer aux élèves 3 sujets chaque jour, au choix (comme au bac français): un résumé de l'épisode (5 à 10 phrases minimum, avec ou sans contraintes lexicales, syntaxiques, etc), un récit d'invention (sujet préparé par l'enseignant.e: imaginer la suite, introduction d'un élément perturbateur, transposition à une autre époque ou autre lieu...), un sujet de réflexion argumenté faisant suite au débat. On peut aussi proposer un seul sujet par jour, en alternant leur type.

    De la médiation culturelle dès le CP

    De la médiation culturelle dès le CPDe la médiation culturelle dès le CPDe la médiation culturelle dès le CP


    Bon, alors voilà.
    1 heure par jour perdue à raconter des histoires ? Indéniablement, c'est beaucoup de travail et cela nécessite un certain recul, pour ne pas tomber dans l'asphyxie de projet, mais il ne me semble pas que cette heure soit perdue, au détriment des programmes. C'est un travail exigeant, oui, et je n'ai aucun support tout fait à vous proposer, malheureusement.*

    Ah si, une petite bricole avant de vous laisser.

    Je vous ai dit que cette année, mon fil rouge en médiation culturelle serait le petit peuple. Nous nous bercerons des Korrigans et Poulpiquets de Bretagne, des matcheux d'hénons picards, des nos petits farfadets de Champagne. Et peut-être que lorsque nous en aurons extrait la substantifique moelle, alors nous nous tournerons, à la faveur d'une embarcation en mer, vers les légendes celtes d'Asgard et de Midgard. J'aimerais tellement remettre la main sur ces contes que l'ami de mes grands-parents, le commandant Blanchard, me racontait, moitié en breton, moitié en français, quand j'étais à peine plus haute que 3 galets. Je sais qu'il me les avait enregistrés surbandes audio, et que ma grand-mère me les avait mis de côté. Mais je ne sais plus où ils sont.
    Bref, en attendant, et pendant que je trie mes contes, que je mets de côté tous ceux qui sont vraiment trop religieux (purée, le diable, c'est même pas le quart de la moitié du Amazon des ces contes-là à côté de la Vierge Marie) voici un tout petit document de rien du tout, des étiquettes pour les porte-manteaux. Derrière les nôtres, on peindra une fresque de fleurs et de champignons.

    De la médiation culturelle dès le CP

     

     

    De la médiation culturelle dès le CP

    Bonus track: les élèves de 2018 enregistrés pour le spectacle de fin d'année. Ils avaient choisi de représenter le début de l'histoire d'Hermès, avaient écrit les textes, les avaient déclamés alors que je les enregistrais , puis nous avions présenté cela sous forme de fresque théâtralisée et dansée, des illustrations faites par les élèves étaient projetées sur un drap en arrière plan (mais je ne les ai pas retrouvées, si bien que j'en ai mis d'autres, leurs brouillons je crois, d'où les fautes d'orthographe encore apparentes). Je vous laisse avec la douceur de la lyre et ces petites voix qui m'avaient laissé d'excellents souvenirs. Mot de passe hermes (je ne sais fichtre pas pourquoi je ne peux pas rendre publique, cette vidéo).

    *Même si je n'ai pas de documents tout faits pour mener cette exploitation des feuilletons de mythologie en EDL, je viens de me rappeler que quelque chose avait échappé à la disparition de mon travail. Ce sont les fiches concernant le tome 1 de La grande épopée des chevaliers de la Table ronde, littéralement copiées sur celles de Bruce Demaugé, à ceci près que je n'ai pas créé d'encart pour une illlustration, puisque nous faisions ce travail sur un cahier de TP. 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :